Histoires, actualités, débats, discussions sur Douarnenez / Tréboul La ville des Penn Sardines
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Comme convenu poursuivons ce questionnement au fil du temps sur l'identité douarneniste en abordant la période d'industrialisation qui suit la deuxième moitié du XIXème siècle.
2) LES RUPTURES DE LA REVOLUTION INDUSTRIELLE
Un demi-siècle après l'invention de Nicolas Appert, les conserveries arrivent au bout de la terre en 1853. Les Nantais, alors, mènent la danse, et, à Douarnenez, ils s'appellent Clairian, Lemarchand et, surtout, Chancerelle. C'est le début d'une extraordinaire explosion aux répercussions multiples et profondes sur les terrains économiques, démographiques, urbains.
A Douarnenez même, les bourgeois des presses résistent autant qu'ils le peuvent à cette innovation importée par des étrangers. Le premier à passer le cap est le maire, Le Guillou de Penanros, sur l'île Tristan, en 1860. 42 ouvertures d'atelier ou d'usine vont suivre ! En quelques décennies, Douarnenez va se transformer en une ville industrielle. Tout va changer.
En 1850 la ville compte 3952 habitants, 8637 en 1875, 12865 en 1901. Une population jeune, grouillante, s'agglutine, dans des conditions d'hygiène déplorables, au plus près de l'eau. Ces usines qui ouvrent leurs portes ne disposent d'aucun moyen de conservation du poisson par le froid. Il faut le travailler dès son arrivée. Hommes en mer dès l'âge de douze ans et parfois avant, femmes à l'usine aux mêmes âges, s'entassent donc sur un périmètre restreint, totalement colonisé. Au delà de quelques solidarités d'évidence c'est une vraie communauté qui vit en ces quelques rues ou venelles. Même destin, mêmes jeux, mêmes apprentissages, mêmes pratiques sociales. Frontières bien ténues entre vie publique et vie privée quand on s'entasse à cinquante dans une même maison, une famille par pièce... Parfois le choléra frappe, et c'est le drame. Ainsi, la presqu'île douarneniste est rapidement entièrement urbanisée. Le quartier portuaire reste populaire, tandis que sur la côte, sur quelques parcelles belvédères, des châteaux d'usiniers s'élèvent. Une première segmentation de l'espace apparaît.
La population nouvelle provient des campagnes du Porzay et du Cap. En 1876, 24 % des Douarnenistes sont nés hors de la ville dont 877 dans les communes limitrophes. Sur 3200 inscrits maritimes, 1200 sont d'origine paysanne.
Des halles, des écoles, l'Inscription maritime, une usine à gaz, apparaissent. Une église aussi, après l'obtention du titre curial arraché aux Ploaristes en 1875.
Notons qu'aucun symbole, ni républicain ni religieux, ne structure cette ville champignon. La mairie, petite, est imbriquée dans un tissu extrêmement dense. L'église, elle, est décentrée et ne prolonge aucune perspective. Pas de centre facilement identifiable, pas d'image référente. Ni laïque, ni religieuse. Problème, car l'identification nécessite souvent un enracinement dans la pierre. Ici, l'identification se focalise sur le centre géométrique de l'agglomération nouvelle et sa borne fontaine, installée en 1861, surmontée d'une petite statue d'un Egyptien, vite adopté et surnommé le bolomig, le petit bonhomme.
Le sens premier de Douarnenez en ces années de révolution, reste, toujours aussi nettement, marqué par la présence de la sardine. C'est elle qui justifie ces chaloupes, de plus en plus nombreuses. Et cette quarantaine d'ateliers de conserveries qui ouvrent leurs portes.
C'est elle aussi, et ses congénères des autres espèces, qui scandent le temps. L'espace comme le calendrier restent tributaires de leur bon plaisir. Ces deux marqueurs d'identité, gestion du temps et organisation de l'espace, sont fondamentaux. Ils pèsent sur tous les autres.
Notons également deux phénomènes, partout rencontrés en ces décennies de mutations: les recensements de la population, qui marquent, administrativement, l'appartenance à une entité particulière, et l'élaboration du cadastre, qui borne un espace territorial. Etre Douarneniste prend un sens administratif et juridique nouveau (Anderson, 1996).
La question de la maîtrise du temps est l'objet de nombreux conflits avec la hiérarchie de l'Eglise. La pêche de la sardine s'opérant à proximité des côtes, l'Eglise souhaite que le dimanche férié soit respecté. Mais elle doit « faire plier devant le sprat la légitime rigueur de ses lois » (Le Doaré, 1990). A partir de 1880, survient une dure crise des apports, la sardine quittant nos côtes. Quand le poisson est rare en semaine, s'il surgit le dimanche comment faire entendre la voix de l'Eglise. Comment ? Un symbole toujours bien visible témoigne sur ces conflits : dans l'église du Sacré Coeur de Douarnenez, du côté des hommes, c'est la statue de Notre Dame de la Salette qui s'impose à tous et pas une autre. Notre Dame de la Salette qui porte sur son socle : « le blasphème et le travail du dimanche, voilà ce qui appesantit tant le bras de mon fils ».
L'organisation des pêches subit peu de modifications : l'essentiel s'organise autour de la sardine, avec quelques apports supplémentaires, permettant au groupe de survivre entre deux saisons. Une évolution, aux conséquences sociales capitales, se fait jour cependant. L'arrivée du chemin de fer, à Quimper puis à Douarnenez, permet le développement de pêches d'hiver, comme le maquereau, trouvant nouveaux débouchés dans la région parisienne. Cela entraîne une rupture de l'organisation sociale de l'armement. Jusqu'alors, les barques appartiennent, pour l'essentiel, aux bourgeois des presses puis aux conserveurs, bref, à des négociants dont les marins sont salariés. En 1865, 595 des 786 chaloupes du port appartiennent à ces bourgeois, 191 à des patrons pêcheurs. En 1875, ces derniers sont propriétaires de 552 chaloupes, et, en 1904, de 776 des 850 embarcations du port. Le système mis en place en ces années de basculement social a souvent été qualifié d'égalitaire. La chaloupe et tous les hommes embarqués, patron compris, sont titulaires d'une part, sauf le mousse, qui en a une demie. Chaque homme apporte son jeu de filets. Des « rouejou an intervezed », filets de veuves, sont embarqués, permettant à celles-ci de gagner une demi-part, et ainsi de survivre, grâce à ces quelques gains. Vivant très strictement la même vie, étant ensemble embarqués, partageant les mêmes revenus, une grande proximité unit les équipages. Plus tard le « communisme sardinier », particulièrement fécond à Douarnenez s'enracinera dans cette communauté maritime, sardinière et artisanale.
Cette communauté parle le breton. En 1902, d'après le curé Auffret « la paroisse de Douarnenez est une paroisse absolument bretonne bien qu'en ville. Elle ne ressemble à aucune autre ville, ni à Brest, ni à Morlaix, ni à Concarneau. Sur 14 000 paroissiens, 12 000 sont bretons bretonnants et 2 000 français . Le dimanche, quatre des cinq messes sont dites en breton. Un cours de catéchisme sur deux se déroule en breton. Dans les bateaux, dans les usines, dans les ateliers, dans leurs jeux, dans l'intérieur des familles c'est toujours le breton » (Le Doaré, 1990).
Diverses enquêtes nous renseignent sur les pratiques pascalisantes de cette population maritime (Lagrée, 1992). En 1909, 95,68 % de la population « fait ses Pâques ». Ils sont 58,32 % à Concarneau. « A Douarnenez, la rupture avec le monde paysan ne passe pas par un abandon des pratiques religieuses », écrit le chanoine Le Floch. Ni par l'abandon du breton, d'ailleurs. Nulle garnison, comme à Concarneau ; des liens très faibles avec la préfecture, absence de lycée... Douarnenez reste un port éloigné, au bout du monde, sans arrière pays, replié sur sa baie fondatrice.
Isolé et éloigné, il devient, quand les assauts de la modernité se font sentir, un conservatoire de tradition. Le maintien durable des Bénédictions de la mer, la pérennité du carnaval, très prisé, jamais interrompu, en sont deux signes, puissants et évocateurs.
Notons encore deux phénomènes significatifs de la vie religieuse locale. Le premier concerne le baptême des chaloupes, mélange de foi chrétienne, d'héritage culturel, de superstition. Contrairement aux autres ports, Douarnenez préfère les sanctuaires nationaux à ceux de son arrière pays rural. Pas une chaloupe n'est dédiée à Saint Ronan... Mais la palme revient, et de loin, aux sanctuaires de la baie et, surtout, à Notre Dame de Bon Voyage qui ouvre cette baie, à la pointe du Van. Le pardon douarneniste est à Sainte-Anne-la-Palud, au fond de la baie, et non à Locronan.
Le deuxième élément nous ramène à cette baie, à travers trois représentations. Sur la bannière de la confrérie Notre Dame de la mer, la baie de Douarnenez et le lac de Tibériade ne font qu'un. Même chose sur une fresque de l'école Saint-Blaise. Mieux, une monumentale statue de la Vierge est installée, au début du siècle, au patronage catholique. Debout dans une barque de pierre, la Vierge étend le bras pour bénir la baie. Cette baie nourricière devient, par construction, par volonté, un nouveau lac de Tibériade. Il est vrai, et la géographie vient alors au secours de l'Eglise, que, vue de Douarnenez, elle semble lac, puisque jamais le large n'apparaît.
La flottille gonfle, en cette fin de siècle, et le port du Rosmeur persiste dans l'indigence. Divers travaux sont engagés de 1870 à 1890, mais l'envasement reste patent et les échouages nombreux. Le manque de profondeur du port en morte eau et l'impossibilité d'y entrer la nuit, faute de feux, nécessiteraient des travaux plus lourds encore. A la fin du siècle, le Rosmeur est un port inadapté aux réalités locales ; l'accueil des bateaux dépend des marées, le site demeure trop ouvert et trop exposé pour être protecteur...
Un deuxième port émerge dans la période : le port de commerce de Port Rhu, qui accueille des navires de toute l'Europe, dont les scandinaves chargés de rogue. Là encore, les grands projets de bassin à flot, récurrents depuis des décennies, ne trouvent concrétisation. Seule la rive droite est ponctuellement aménagée de quais. L'accostage y est favorisé... quand le permet la marée !
S'ajoutent à ces deux ports, en somme de simples quais bordés de digues, des points d'ancrage au pied de quelques fritures. Au Guet et à l'île Tristan, en particulier.
La fin du XIXème siècle est faite de ces pointillés d'aménagements sur le linéaire côtier douarneniste. Peu à peu, sortent des grèves quelques quais malhabiles. Mais grèves et rochers dominent toujours et seuls les lieux d'accostage nécessaires aux usines sont policés et rectilignes. En matière maritime, le XIXème siècle reste celui des investissements privés. Les équipements publics tentent se suivre le bal, mais ne l'initient pas.
Si, jusqu'alors le regard porté sur la mer est exclusivement économique, nourricier, tout change à partir de 1863. Hasard des dates : c'est en 1863 que Baudelaire, dans « Le peintre de la vie moderne » aurait lancé, pour la première fois, le terme de modernité. (Jacques le Goff, 1988).
Voici, avec le rail, de drôles de citoyens, les artistes. A la suite de Lansyer, le découvreur, une nombreuse colonie s'abat sur Douarnenez.
Nouveauté extraordinaire, ils inventent un nouveau regard, une nouvelle relation à l'élément maritime. La mer devient décor, spectacle. On la regarde sans y travailler. C'est la naissance, locale, de la notion de paysage, et, ici comme ailleurs, les parents sont étrangers. Là où un homme vit ses travaux et ses jours, attaché à sa terre, il ne songe pas à élaborer une représentation paysagère de l'espace. Il entretient, il préserve... mais ne transforme pas le lieu en paysage. Ce sont les urbains qui se font une représentation paysagère du rural.(1)
Oui, il faut un Autre pour offrir à un espace la qualité de paysage. Quand les touristes arrivent à Douarnenez-Tréboul, qu'ils se promènent sur le port ou dans les ruelles, ils sont les images parfaites de l'altérité. Altérité sociale, culturelle, historique. Tout les différencie. Ils sont également touristes à une époque où les Douarnenistes ne le sont pas. Les marins qui égrènent les ports ne fréquentent sur le littoral que les quartiers portuaires. Ils y retrouvent d'autres marins, d'autres équipages. Les différences existent mais les points communs aussi, faits de métiers partagés et d'expériences communes. Le Douarneniste n'est pas encore touriste lui-même. Il accueille mais n'est pas accueilli. Il vit en ces années charnières un fondamental changement de sens. Le peintre qui pose son chevalet sur les cales et qui, des heures durant, regarde la mer, symbolise parfaitement ce glissement. Un lieu touristique naît, qui amène un détournement de l'utilisation traditionnelle d'un territoire. Cette mer, que l'on scrutait afin d'en mesurer les risques ou les ravages, est regardée aujourd'hui pour des vertus esthétiques. La mer était calme ou forte. Elle devient belle. Signification qui change, utilisation aussi. Voilà que les marins qui, seuls, se confrontaient à elle, sont accompagnés de touristes, qui la regardent et l'apprécient. Des acteurs, hier seuls, maintenant doublés de spectateurs (Knafou, 1992).
Tout un tissu de significations va changer. Ce qui n'était que fonctionnel peut se recouvrir des attraits d'une subjective beauté. Bientôt les vieilles maisons deviendront, par la grâce sémantique, des maisons anciennes. L'ancien est plus noble que le vieux. La vieille maison est abattue. La maison ancienne est restaurée. A l'identique, cela va de soi...
Des lieux, ainsi, changent de signification. La plage est inventée. On y séchait du goémon. On y viendra batifoler sous des ombrelles protectrices.
A Douarnenez, c'est l'évidence, le paysage s'appelle baie. Ses couleurs, ses lumières, les jeux de l'eau et du soleil. Le paysage s'appelle aussi voiles brunes et chaloupes, marins sur le port. Pittoresques, mal rasés et parlant breton. Crachant par terre, plus que de raison. Les femmes d'usine, elles, ne sont ni pittoresques ni dignes de motifs. Une seule toile les représente. La vie industrielle est symbole de ville, pas de Bretagne.
A la suite des peintres, poètes, et artistes en tous genres, les premiers touristes arrivent à Douarnenez. Ils investissent la plage des Dames, nommée en leur honneur, et en celui des femmes d'usiniers venant là, à l'occasion. Mais les odeurs de fritures, la crasse de la ville industrielle et industrieuse, les chassent rapidement. A Tréboul, ils trouvent et les plages et les hôtels et les maisons de rapport. Tréboul où arrive le train, depuis 1883. Une segmentation, toujours très visible, de l'espace naît alors. Douarnenez, le port et les conserveries. Tréboul, les symboles touristiques, les lotissements huppés, la station balnéaire.
Reprenons nos marqueurs d'identité, espace et temps. L'un comme l'autre restent contraints par l'activité maritime essentielle. Essentielle mais non plus exclusive. Douarnenez s'intègre au monde, accueille une population rurale, quelques artistes et touristes ainsi que les symboles de la révolution industrielle. Pour autant l'identité maritime disparaît-elle ? Non, elle est d'ailleurs d'autant plus vécue que reflétée dans le regard de l'autre et même, parfois, mise en scène.
Là, il est nécessaire de s'arrêter un peu. Identité maritime non englobante, répétons-le. Le langage n'est pas le même chez Wenceslas Chancerelle ou René Béziers et chez la foultitude de ces marins confrontés aux désertions de la sardine. Pas de culturalisme. Pas de simplification. Pas de communautarisme qui écrête les aspérités et gomme les différences. Des espaces de vie, des territoires même se superposent parfois. Mais celui de l'industriel n'est pas celui du marin. Celui du commerçant est autre encore. Celui de l'homme n'est pas celui de la femme. Ces territoires ne coïncident pas. Douarnenez est alors fruit de la diversité. Ne l'oublions pas. Pas de communauté maritime se reproduisant au fil des décennies. Non, une ouverture, un appel aux populations voisines, des mélanges et des métissages. Douarnenez se construit, là, de mille apports, de mille origines, dans la diversité du mouvement. Douarnenez est fruit du cosmopolitisme. Les paysans du Porzay enfantent des Seigneurs de la mer. La généalogie de ces derniers montrent combien leurs racines sont paysannes. Inavouable. Alors, soyons nets : la notion de Douarnenez, sorte d'identité primordiale qui parcourrait les siècles, forte de son noyau dur d'authenticité salée n'existe pas. La construction est permanente, le XIXème siècle, fondateur, et la revendication récente. Elle peut même être datée aux années 1970.
Dernière modification par socrate (2011-01-08 15:10:04)
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Douarnenez très tôt dans le sillage de Lansyer a attiré une foultitude d'artistes divers peintres,écrivains de renommée mondiale pour certains (citons pêle-mêle:Jules Breton,Sully Prudhomme,Max Jacob,Guy De Maupassant,Désiré Lucas...et bien d'autres) .Ce pouvoir de séduction elle le doit à la majestueuse beauté des lieux mais malheureusement ses résidents n'ont jamais saisi l'intérêt de cet attrait!!!!!Force est de reconnaitre que l'actualité confirme que le train du progrès un siècle et demi plus tard n'est toujours pas pris et que les mêmes forces de résistances vis à vis du tourisme(la présentation raisonnée de notre pépite) existent toujours!
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Reconnaissons que Douarnenez est sur une voie de triage mais il y a au moins deux causes, imparables:
- la pêche: la mer, au repos pendant la 2ème guerre, a, après, énormément donné aux pêcheurs bretons, leur assurant un train de vie qu' ils n'auraient jamais espéré,
- sa situation géographique: elle se trouve à une demie-heure de la voie expresse, ce qui est, définitivement, une demie-heure de trop.
Reste le tourisme, le sport, les quelques usines, les artisans, pas grand chose pourra-t-on dire, combien de villes en disposent déjà et mieux placées que nous, alors prions si nous croyons, bossons-cogitons en tous cas, encore et toujours .
Dernière modification par gm (2011-01-08 22:07:23)
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